Sacrées malles! Il suffit de les ouvrir pour qu’elles forment une large bouche très bavarde.
Mais attention, leur bagou se veut chic: elles ne versent pas dans la discussion de comptoir. Bien que des comptoirs, elles en ont visité, au temps des vieux empires étalant leurs colonies aux quatre coins du monde.
Et les voilà, tout droit venues de la Belle Epoque ou des Années folles, après un siècle de voyage, à poser leurs bagages au salon de l’Antibes Art Fair. Où elles ont la cote.
« C’est une mode qui prend de l’ampleur depuis une dizaine d’années. La demande est en forte hausse », jubile Francesco Di Somma de la galerie italienne Aimo Room.
Caressant la maroquinerie impeccablement polie par les ans, il souligne « le fastidieux travail de rénovation. Certaines pièces, fermoirs, poignées, rives, ne sont plus fabriquées. C’est très compliqué d’en trouver pour les changer », grimace-t-il.
Louis Vuitton et voyage de luxe
Puis, du bout des doigts, il indique une myriade d’iconiques monogrammes estampillés sur la toile. LV. Louis Vuitton. Le malletier de l’Impératrice Eugénie. Le père fondateur de la célèbre maison haut de gamme, née en 1854.
« Oui, on a tendance à l’oublier, mais avant que l’entreprise ne se diversifie, la marque était surtout connue pour ses bagages de luxe », rappelle le vendeur.
Ainsi destinées à une riche clientèle, ces vénérables aventurières sont passées entre d’illustres mains. Ici, la baronne allemande Frieda Von Seidlitz. Là, Nadar, le génie du portrait photographique.
L’une avait besoin d’un secrétaire portatif pour écrire ses nombreuses correspondances. L’autre, disposait de rangements sur-mesure pour les tout premiers appareils kodak.
Parce que les malles, en fidèles compagnons d’expédition, s’adaptent aux besoins de leurs propriétaires. Ainsi, les plus intimes recèlent autant de caches à bijoux que de tiroirs où se déploie l’attirail d’une véritable coiffeuse: profonds miroirs et parfums y côtoient peignes délicats et crayons à cils.
Quant aux plus massives, elles se déclinent tour à tour en garde-robes, garde-chaussures et garde-chapeaux. Quand elles ne sont pas plus excentriques une fois transformées en douche de campagne, dressée par exemple dans une cabine de zinc et cerclée d’un panneau en tek.
Décorations et spéculation
Si c’est encore fonctionnel? « Parfaitement », sourit en italien Cinzia Nobile. L’antiquaire de luxe s’empresse d’ajouter « que les acheteurs ne s’en servent pas. Désormais, ces malles anciennes sont exclusivement décoratives. Ou bien elles font office de meubles. »
Mais dans tous les cas, leurs multiples tampons de douanes amènent en plein cœur de la maison, d’exotiques destinations. Équateur, Argentine, Moyen-Orient. Toutes rallier par des trains luxueux ou de majestueux paquebots.
Oui, les malles rendent l’imaginaire fertile. Pour autant, la raison de leur succès se trouve ailleurs. En terres plus stériles et pragmatiques.
« C’est un bon investissement », reconnaît Diego Mazzi, de la galerie éponyme. L’expert observe que « les prix ont grimpé de 30% en dix ans. Aujourd’hui, vous en achetez un grand exemplaire pour 20.000 euros et un petit pour 3.000. Mais ça va ne faire qu’augmenter. » À bon entendeur…
« Antibes Art Fair », dernier jour ce dimanche, sur l’esplanade du Pré-des-Pêcheurs. Entrée: 12 euros.
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