DÉCRYPTAGE – Les expériences de voyage proposées par le géant du VTC se multiplient. Reflet d’une envie d’investir le secteur du tourisme et d’en bousculer les codes, ou simple succession de coups de com’ ?
La savane à perte de vue, des zèbres, lions, rhinocéros et autres girafes çà et là dans le paysage… Et un camion kaki flanqué du logo d’Uber. C’est ce à quoi ressemble la dernière expérience de l’entreprise américaine, Uber Safari. Il y a deux ans, c’était à bord d’un traîneau du Père Noël que les clients du géant du VTC pouvaient grimper – les quatre lettres de la marque bien visibles sur les rennes et le moyen de locomotion. Ces derniers jours, une nouvelle information a été dévoilée par le Financial Times : Uber envisagerait de racheter le site de voyage Expedia. Mais que vient donc faire la multinationale qui a révolutionné le transport en VTC dans le voyage ? À première vue, pas grand-chose – même si, rappelons-le, Dara Khosrowshahi, PDG d’Uber, était aux rênes d’Expedia entre 2005 et 2017 et reste, aujourd’hui, un administrateur non exécutif de son conseil d’administration. Et ce n’est pas tout : du vol en montgolfière dans la Cappadoce en Turquie à la balade en bateau pour découvrir les îles grecques, le géant américain n’en finit plus de sortir de son chapeau de nouvelles expériences de voyage. Au point de devenir un voyagiste comme un autre ?
Contacté, Uber assume se vouloir le « partenaire de voyage » de ses clients où qu’ils aillent, au-delà de leur permettre simplement de se déplacer. Si les expériences en ce sens se multiplient ces dernières années, la stratégie de l’entreprise américaine n’est pas nouvelle. L’époque où Uber était UberCab, start-up fondée dans la Silicon Valley après que ses fondateurs ont passé une soirée entière à chercher en vain un taxi à Paris, comme le veut la légende, semble bien lointaine. Avec le succès fulgurant est rapidement arrivée la diversification. En 2013, la multinationale lance un service d’hélicoptère pour rallier les Hamptons depuis New York puis « Boat to Work » à San Francisco. En 2017, « UberCopter » permet de rejoindre en sept minutes la croisette depuis Nice, à l’occasion du 70e Festival de Cannes. Deux ans plus tard, les New-Yorkais peuvent à leur tour rejoindre l’aéroport de JFK depuis Manhattan par les airs. Parallèlement, en 2016, c’est en Chine que la firme s’exporte pour louer des montgolfières à travers sa branche « Uber Travel ».
De quoi démocratiser certaines expériences ?
Coup d’accélérateur au sortir des confinements successifs : 2022 marque le lancement d’« Uber Sleigh » en Laponie à Noël et d’Uber Boat à Londres (qui permet de transporter des passagers sur la Tamise grâce à un partenariat avec Thames Clippers). En 2023, « Uber Balloon » fait s’envoler les visiteurs de Turquie dans des montgolfières. En 2024, « Uber Boat » permet de découvrir les îles grecques, les Uber-bateaux-taxis de Venise, de naviguer sur les canaux de la Cité des Doges, « Uber Seaplane », de surplomber les Highlands écossais en hydravion, et tout récemment, « Uber Safari », de réaliser un safari en Afrique du Sud. En France, la même année, les voyageurs venus acclamer les athlètes olympiques peuvent réserver un bateau dit « Click&Boat » pour se promener sur la Seine, ou découvrir les domaines de champagne avec « Uber Bubbles ». En plus de multiplier les options de déplacement sur sa seule application, la multinationale s’approprie aussi la casquette de créateur d’expériences de voyage.
Uber l’assure au Figaro : « Nous faisons en sorte de proposer à chaque fois quelque chose qui n’a pas encore été fait, une expérience unique et inédite. » Les vols en montgolfière et autres balades laponnes en traîneaux tirés par des rennes n’existaient-elles pas déjà auparavant ? L’entreprise assume, avouant même s’appuyer sur des prestataires qui proposaient déjà les services en question. « Ce qui est unique, c’est que l’on inclut l’expérience tout entière, aller et retour compris, avec la possibilité de réserver l’activité via l’application », nous précise l’entreprise.
Le secteur du safari était relativement immobile depuis un moment, cela permet de le dépoussiérer un peu
Pour Fabrice Dabouineau, ancien directeur de Voyageurs du Monde en Afrique et directeur de l’hôtel Satyagraha House à Johannesburg, l’argument fait mouche. En ce qui concerne « Uber Safari », il note ainsi que « l’offre n’est pas inintéressante. Déjà, le secteur du safari était relativement immobile depuis un moment, cela permet de le dépoussiérer un peu. Aussi, l’aspect transport est important dans ce type d’expérience, et Uber a une expertise dans le transport urbain. » Surtout, il espère que ce nouveau service, qui promet d’être moins cher que la moyenne des safaris existants, permette de démocratiser l’expérience pour les locaux : « Les premiers voyageurs en Afrique du Sud sont les Sud-africains eux-mêmes, et beaucoup n’ont pas les moyens financiers ou logistiques d’aller dans les réserves. Or, sur ces réserves, il y a des enjeux de conservation. Plus les Sud-africains connaîtront leurs réserves, plus ils seront sensibles à leur préservation. »
« Le modèle d’Uber n’engage aucune responsabilité »
Pour autant, le spécialiste n’est pas convaincu de l’impact de cette nouvelle offre pour les touristes internationaux, qui plus est alors que « les opérateurs qui proposent des prix cassés sur des safaris, ce n’est pas nouveau, et que l’Afrique du Sud n’est pas la destination la plus chère. D’ailleurs, aujourd’hui, on peut trouver des prix cassés pour tout ». En effet, il est déjà tout à fait possible de construire soi-même son voyage, safari inclus.
Au-delà de ce point, le système-même du géant controversé pose question et notamment la question du service après-vente en cas de litige. « Le modèle d’Uber n’engage aucune responsabilité » pour la multinationale, rappelle Fabrice Dabouineau. En d’autres termes, si la prestation achetée n’est pas à la hauteur de celle attendue ou si un incident survient, « le prestataire est responsable. Mais encore faut-il qu’il ait les compétences et qu’il respecte les critères pour assurer la sécurité des voyageurs ». Ce que possèdent, à l’inverse, les agences et organismes de voyage certifiés. Et l’expert de souligner : « Se positionner sur ce créneau sans responsabilité est donc compliqué. »
Alors, réelle envie de se tourner vers le secteur (et, peut-être, de le changer en profondeur) ou énième coup de communication d’un spécialiste en la matière ? « On a déjà vu Google essayer d’investir le voyage… Cela aurait du sens, c’est un secteur porteur et source de croissance », analyse Fabrice Dabouineau. Pour l’heure, lui penche plutôt pour une succession d’opérations publicitaires – ce qu’a admis ouvertement Uber pendant nos échanges, rappelant que ce type de campagne était surtout menée « pour la communication » de l’entreprise. Fabrice Dabouineau résume : « C’est un peu léger, et ce n’est pas très effrayant pour l’instant. Mais cela peut changer très vite, ils peuvent rapidement devenir un acteur important du voyage, s’ils leur en prenait l’envie ».
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