Astypalea, ça vous dit quelque chose ? Sans doute pas, après tout, ce n’est pas la plus connue des îles grecques. Rattachée administrativement au Dodécanèse, un archipel de la mer Egée qui comprend notamment la bien plus célèbre île de Rhodes, c’est un petit bout de terre de 97 km2 (à comparer aux 8 722 km2 de la Corse…) assez isolé du Vieux Continent. Comptez une heure environ pour la rejoindre depuis Athènes en avion et carrément 8 heures si vous avez le pied marin et/ou… si vous n’êtes pas pressé.

C’est là-bas, sur cet espace où ne vivent en tout et pour tout que 1 334 habitants à l’année (et 36 000 tout de même durant la saison touristique !) qu’a décidé de s’installer Volkswagen pour mener une expérience peu commune : électrifier l’île. Une idée qui est née d’une rencontre entre Herbert Diess, l’ex-patron de Volkswagen, et le Premier ministre grec. Peut-être vous souvenez-vous du projet Appy de Renault, cette petite ville des Pyrénées-Orientales où les habitants roulaient tous en Zoé ? Le principe est plus ou moins le même à ceci près que le périmètre est plus grand, que le nombre d’habitants est 53 fois supérieur et que le nombre de véhicules est à-peu-près environ 60 fois plus grand. Vous l’aurez compris, c’est un projet périlleux dans lequel s’est lancée la marque de Wolfsburg.

La Grèce et les voitures électriques, une belle romance, une nouvelle histoire

A cela, on pourrait ajouter que la Grèce n’est pas une référence en matière d’électrification. En 2022, les ventes de modèles 100 % électrique ont certes progressé de 29,9 %, ce qui n’est pas négligeable, mais avec 2 827 immatriculations au total, ce chiffre reste négligeable et dans la moyenne basse des Etats européens. Certes, Chypre a fait moins bien encore avec 403 ventes, mais la superficie de ce dernier pays n’est pas la même… Il y a pire encore, entre 2021 et 2022, la part de marché des modèles zéro émission a reculé, passant d’un déjà peu glorieux 1,92 % à 1,52 %.

Thanos Zarogiannis, spécialiste en électromobilité travaillant pour le gouvernement et présent sur place pour nous présenter le projet d’électrification des infrastructures (nous allons y revenir), se défend : « Les véhicules 100 % électrique continuent malgré tout à gagner du terrain. Le pays doit respecter certains objectifs chaque année. Depuis 2020, nous avons atteint ces objectifs et nous les avons même dépassés. Notre objectif, c’est d’arriver à 30 % de pénétration pour les zéro émissions à l’horizon 2030 ». La Grèce s’en donne il est vrai les moyens avec des aides à l’achat parmi les plus généreuses à l’échelle de l’Union Européenne.

« Le principal enjeu », reconnaît Thanos, « c’est le réseau de recharge, et là, c’est plus difficile à déployer ». Là aussi, sur ce point, la Grèce fait partie des mauvais élèves en Europe, mais les choses évoluent finalement assez vite. « En 2020, il n’y avait que 50 chargeurs publics à travers le pays. Maintenant, il y en a plus de 3 500 », ajoute-t-il.

Les différents interlocuteurs que nous avons rencontrés sur place l’ont reconnu volontiers : non, Volkswagen n’a clairement pas choisi le terrain le plus facile pour se lancer dans un tel projet mais, tant qu’à se lancer dans un tel projet, autant qu’il y ait un minimum d’enjeux pour le pimenter…

Des voitures électriques carburant au gazole… pour le moment

Or, nous n’avons même pas évoqué le problème principal. Isolée du reste de la Grèce, nous l’avons déjà souligné, l’île d’Astypalea ne peut compter que sur elle-même pour produire sa propre électricité. Et c’est bien là tout le problème puisque ce sont pas loin de 2 millions de tonnes de gazole qui doivent être acheminées sur place chaque année pour alimenter les générateurs. Cela représente un coût financier non négligeable (2,1 millions d’euros par an) et le bilan carbone est loin d’être glorieux avec quelques 5 000 tonnes de CO2 émises chaque année. Une difficulté majeure qui ne fait pas peur à Volkswagen : « ce sont des conditions idéales pour un tel projet », nous assure les porte-parole de la marque.

Depuis juin 2022 déjà, il existe un petit parc photovoltaïque capable de produire suffisamment d’énergie pour alimenter environ 45 voitures électriques par an. Sachant qu’il y a un total de 84 véhicules sur l’île, ce n’est pas suffisant pour tous les recharger. Les habitants et les touristes ne le savent que trop bien. Maria et Pierre, un couple de Genevois venant régulièrement sur l’île d’Astypalea pour y passer leurs vacances, le regrettent : « Ce n’est pas de l’électricité verte, c’est du fossile ».

Le rôle de Thanos, c’est aussi et surtout de nous expliquer les avancées sur ce point. D’après lui, les choses vont changer radicalement d’ici peu de temps puisque devraient être mises en service courant 2024 des installations dites hybrides composées d’un parc solaire d’une capacité de 3,5 mégawatts et d’un système de stockage sur batteries. Objectif à court et moyen terme : que lesdites installations puissent couvrir 100 % de l’électricité nécessaire pour alimenter l’intégralité des voitures électriques présentes sur l’île ainsi que 50 % des besoins énergétiques d’Astypalea d’ici 2024 et que, d’ici 2026, ce dernier chiffre grimpe à 80 %. Espérons pour les riverains que ce soit effectivement le cas.

Astybus, Astygo… l’écosystème électrique signé Volkswagen

Vous vous demandez peut-être ce que peut apporter le constructeur allemand dans tout ça ? Son « savoir-faire en matière d’électromobilité », pour reprendre ses propres termes. Voitures de police, ambulance, taxi, ce sont en tout 8 véhicules qui ont été offerts gracieusement par Volkswagen AG. Autre chose, les bus ont tous été remplacés par des ID. Buzz La course peut être commandée depuis un service que les riverains connaissent bien et qui s’appelle Astybus. Il existe également un système de location de véhicules en libre service baptisé Astygo, avec une flotte du groupe Volkswagen bien entendu. Parmi les modèles qu’on peut louer, on retrouve des ID.3 ou des ID.4, mais également des deux-roues, des vélos électriques de la marque Ducati ou encore des scooters zéro émission Seat MÓ 125. Ls services Astybus et Astygo font partie du programme Astymove. Et c’est tout ce que nous saurons, Volkswagen et les différents partenaires de l’opération s’étant mis d’accord « pour ne pas partager de chiffres détaillés » sur les investissements en jeu.

L’impossibilité d’une île ?

En l’espace d’un an, l’application dédiée plutôt simple d’utilisation a été téléchargée près de 8 000 fois et compte un peu plus de 2 800 utilisateurs actifs. Pas mal quand on connaît le nombre de personnes y vivant à l’année. Environ 25 % d’entre eux se déplacent d’ailleurs régulièrement en ID. Buzz. On peut donc parler de succès pour Astybus. Pour Astygo, c’est moins le cas. Seuls 487 voyages ont été effectués entre juin et septembre 2022, pendant la saison touristique. Moyen quand on sait que la population est multipliée par 26 à ce moment précis de l’année.

D’après un sondage réalisé par l’université de l’Egée, 84 % des habitants auraient exprimé leur satisfaction vis-à-vis du programme dans son ensemble. Des quelques personnes que nous avons rencontrées et interrogées, nous dirions que les avis sont partagés. D’un côté, il y a ceux qui trouvent, comme Maria et Pierre mentionnés plus haut, que les véhicules Volkswagen dénaturent l’île, que la marque allemande « fait le show » et que le nombre de bornes n’est pas suffisant pour répondre à la borne (il y en 10 au total, dont une seule rapide de 50 kW, placée au niveau de l’hôpital).

De l’autre, il y a ceux qui sont ravis, les commerçants surtout, car cela facilite les déplacements des touristes, qui peuvent tout gérer depuis une application dans une langue qu’ils maîtrisent bien, mais également des locaux, notamment les personnes âgées qui ne sont plus capables de conduire. En plus, « ça coûte moins cher que l’ancien système de bus », nous explique Theodora, responsable d’une petite boutique donnant sur le port principal d’Astypalea. Un forfait mensuel coûte aujourd’hui 50 € pour les résidents, c’est 10 € de moins que précédemment. Seul souci, encore faut-il avoir un téléphone avec une connexion internet. « Avant, avec le système de bus classique, le problème ne se posait pas ». Des avis partagés, nous disions. Toutefois, toujours en s’appuyant sur l’étude universitaire, chez Volkswagen, on ne s’inquiète pas outre-mesure. Un porte-parole nous explique : « le scepticisme vis-à-vis de la mobilité électrique s’est considérablement réduit depuis le début du projet. Le projet a maintenant des taux d’approbation de plus de 80 %, avec seulement 4 % des résidents encore sceptiques ».

Si, sur Astypalea, le bonus est doublé par rapport au reste du pays et s’élève à un très généreux 16 000 €, encore faut-il pouvoir débourser la somme restante. Or, les Grecs n’ont pas le même pouvoir d’achat que nous autres Français. C’est pourquoi sur les 84 véhicules électriques achetés ces deux dernières années, seuls 51 d’entre eux sont détenus par des particuliers. A noter d’ailleurs que depuis que le projet d’électrification a été lancé sur cette île de la mer d’Egée, plus aucune voiture thermique n’a été immatriculée. Ca, c’est un plutôt bon point pour l’objectif d’électrification. Mais il semblerait qu’un plafond de verre ait été atteint. 

Un coup d’œil au reste du parc automobile et on remarque qu’il est constitué de vieux modèles, beaucoup de petits 4×4 très utiles pour évoluer sur un réseau routier peu dense mais accidenté. « Un, les locaux n’ont pas beaucoup d’argent et, deux, ils n’ont pas beaucoup de besoins », me résume une résidente de l’île. Remplacer le parc automobile dans sa totalité par des modèles zéro émission – encore une fois une initiative tout à fait louable au demeurant – semble un tantinet ambitieux. Andreas Groß, porte-parole du groupe VW, le reconnaît lui-même : « ce ne sera pas facile ». En d’autres termes, il reste un long chemin à parcourir avant qu’Astypalea ne devienne véritablement une île électrique. En fait, on peut la voir comme étant une représentation de l’Union Européenne à petite échelle. D’un côté, un objectif ambitieux avec 100 % de modèles électriques souhaités. De l’autre, les difficultés de cette transition : un réseau électrique à développer et à décarboner et des habitants qui gardent leur vieille voiture faute de pouvoir opter pour un véhicule électrique trop cher.