Un mirage. Quiconque arrive par hasard à Gibellina Vecchia croira à un mirage : une dalle blanche suit les courbes d’une colline, comme un drap de ciment jeté sur la vallée du Belice, dans l’ouest sicilien. De près, des sillons creusés dans la matière, à hauteur d’homme. Un troupeau de moutons passe, hésite à entrer, longe les couloirs vierges de toute herbe. Créée en 1985 et achevée en 2015, cette monumentale pièce de land art, dans laquelle s’engouffrent le vent et les visiteurs, est l’œuvre de l’artiste italien Alberto Burri (1915-1995).

Le plasticien, figure de l’abstraction transalpine, n’a pas créé ici par hasard son « immense fissure blanche ». En réalité, personne ne s’aventure sans raison dans ce cœur agricole de la Sicile. Les perles de l’île sont loin : Palerme vibre au nord, à 70 kilomètres, l’Etna fulmine à 300 kilomètres. Gibellina n’a pour elle que son histoire : à l’hiver 1968, un tremblement de terre balaye la bourgade. Avocat influent, le charismatique maire de l’époque, Ludovico Corrao, lance un appel à la solidarité artistique en 1979. La fine fleur de la création italienne du XX^e siècle débarque dans les collines : architectes, peintres, sculpteurs… Alberto Burri est l’un d’eux. « Sous le choc », il pose sur les décombres son labyrinthe mémoriel : 122 dalles de ciment reprenant l’ancien tracé des ruelles.

Dix ans après le tremblement de terre de 1968, la fine fleur de la création italienne débarque dans les collines pour y concevoir des œuvres.

Histoire d’une utopie

L’histoire ne s’arrête pas dans les replis de ciment du Cretto di Burri, ainsi que l’appellent les Siciliens. Vingt kilomètres plus loin se dresse la ville nouvelle, dite Gibellina Nuova. Impossible d’en manquer l’entrée. Une haute étoile de métal, signée par le sculpteur Pietro Consagra, enjambe la nationale 119. Un rien grandiloquente, elle fait office de porte vers l’utopie. L’automobiliste qui file vers Palerme ignore que plus bas, après quelques bretelles routières passablement emmêlées, une cité à l’apparence anodine veille sur ses œuvres comme sur un songe. « À l’époque, nous étions à un moment très particulier pour la création italienne : après des années marquées par la désillusion de la Seconde Guerre mondiale, Gibellina a été perçue comme une occasion pour les artistes de réinvestir leur rôle social : quand le drame frappe, ils répondent présents », raconte l’architecte Enzo Fiammetta, directeur de la Fondazione Orestiadi, une vaste ferme transformée en musée à la lisière de la ville.

Safari urbain et artistique

Bâtie pour 15.000 habitants, Gibellina Nuova est pourtant restée vide, ou presque. Elle compte aujourd’hui quelque 4000 âmes. Les rues désertes offrent leur prise au vent. Citronniers et oliviers poussent indifférents dans les allées piétonnes. Deux bistrots se relaient pour servir le ristretto au marcheur. Carte en main, la visite de ce désert urbain se mue en safari artistique, à la recherche des œuvres soigneusement listées sur un dépliant. On se prend aux charmes de la chasse aux fantômes, qui ont ici des draps de métal et de béton. Là, le totem ailé d’Alessandro Mendini. Ici, l’inclassable ensemble urbain de Laura Thermes et Franco Purini Sistema delle piazze, une imbrication de cinq places aux doubles portiques. Sur les trottoirs, une sculpture de Salvatore Cuschera côtoie un monolithe de Mauro Staccioli. La Chiesa Madre (l’église mère), de l’architecte Ludovico Quaroni, se recueille autour d’une saisissante sphère de béton, blanc sur ciel bleu. Elle semble enfermer dans son hermétisme tout le mystère de la cité. À ses pieds, le colossal théâtre, jamais terminé : une arche en béton armé, mi-lotus mi-bunker. Impossible d’y entrer, il faut se contenter d’apercevoir derrière les grilles les volumes bruts pensés par Pietro Consagra. Sera-t-il un jour achevé ? Les habitants haussent les épaules, ont cessé d’y croire depuis longtemps, mais l’admirent tout de même avec, dans les yeux, un éclat de fierté…

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Carnet pratique

VOIR

Fondazione Orestiadi

Sur les hauteurs de Gibellina, ce vaste domaine agricole a été transformé en fondation artistique, veillée par la Montagne de sel du sculpteur Mimmo Paladino. Ses hautes voûtes abritent une éclectique collection d’œuvres témoignant du passage des artistes (toiles, installations, décors de théâtre…). Empreint de paix, le lieu abrite aussi une bibliothèque, un jardin, et des résidences d’artistes. Tél. : + 39 09 246 7844 ; Fondazioneorestiadi.it.

Museo d’Arte Contemporanea Ludovico Corrao

Ses galeries abritent un riche condensé de l’art italien du XXe siècle, de l’abstractionnisme du groupe Forma 1 aux toiles que le postmoderniste Mario Schifano peignit à Gibellina. Une section dédiée à la reconstructionde la ville, avec maquettes et photos,offre de précieuses clés de compréhension. C’est ici qu’est fournie la carte de la ville, indispensable avant de partir à la chasse aux œuvres. Tél. : + 39 09 2452 4882 ; Macgibellina.it. Plus de renseignements : Italia.it.

FLÂNER

Palazzo Branciforte

À Palerme, l’architecte italienne Gae Aulenti (1927-2012) a rénové ce palais du cinquecento aux multiples destins. La demeure, devenue mont-de-piété en 1801, a gardé de son passé un témoignage unique : sur plusieurs salles s’enchevêtrent jusqu’au plafond paliers et escaliers de bois, emplis autrefois du fatras des objets mis en dépôt. Un design épuré, qui contraste avec les lignes modernes de la bibliothèque, au mobilier vert tilleul et balcons d’acier. Tél. : + 39 091 765 7621 ; Palazzobranciforte.it.

Caltabellota

Perché à près de 1 000 mètres d’altitude, ce village accroché à son éperon rocheux vaut largement les petites routes bordées de genêts qui l’y amènent. Autour de l’entrelacs de ruelles, une cathédrale adossée à un ancien autel grec, les ruines d’un château normand, une chapelle rupestre… et un panorama sur les collines et la mer, qui récompense la grimpette.

GOÛTER

Hostaria del Vicolo

Ruelle proprette, nappes blanches et service tout en bonnes manières : sous son apparente sagesse, cette table estampillée slow food modernise avec bonheur les classiques siciliens. Les jeunes chefs Lila Bentivegna et Angelo Principato s’inspirent de la pêche locale : risotto aux crevettes rouges, rouget aux fèves… Une exquise raison de faire escale à Sciacca, ville portuaire. Comptez 45 €, menu dégustation à partir de 65 €. Tél. : + 39 0925 23071 ; Hostariadelvicolo.it.

Tenute Orestiadi

À Gibellina, ce domaine viticole créé en 2008 cultive sa parenté avec les arts et offre une vue panoramique sur la campagne. Une salle de dégustation aux beaux volumes, des barriques signées par des étudiants aux Beaux-Arts de Milan et dans les verres, les cépages autochtones : grillo, cataratto, inzolia… Tél. : + 39 092 469 124 ; Tenuteorestiadi.it.

RÊVER

Villa Igiea

Certains hôtels sont des voyages en soi : la Villa Igiea est de ceux-ci, avec ses couloirs en marbre, ses lustres de verre et ses vues alanguies sur le golfe de Palerme. Le bâtiment de style Liberty fut édifié à la Belle Époque par les Florio, illustre famille de Sicile. Aujourd’hui propriété du groupe Rocco Forte, la villa a retrouvé sa splendeur après deux ans de rénovation : du grand salon, bijou d’Art nouveau aux 100 chambres et suites, la somptuosité mène partout grand train. À partir de 730 € la nuitée. Tél. : + 39 09 1631 2111 ; Roccofortehotels.com.

Verdura Resort

Il y a deux manières d’aborder le séjour dans ce resort aux élégances modernes, posé sur les rives ensoleillées de Sciacca, sur la côte sud-ouest : version dolce vita, sous les palmiers de la piscine ou dans le spa de 4000 m². Version sportive, on choisira d’arpenter l’un des trois golfs à la renommée internationale ou d’emprunter les vélos à disposition, pour flâner sur les 230 hectares du domaine. À partir de 600 € la nuitée. Tél. : + 39 09 259 982 008 ; Roccofortehotels.com.